Une théorie mathématique de l’information aide à prédire la forme des réseaux d’interactions chimiques entre plantes et insectes. La professeure Pengjuan Zu poursuit à l’Université de Neuchâtel un vaste projet financé par le Fonds national suisse (FNS) qu’elle avait commencé à développer à l’ETHZ puis au célèbre Massachusetts Institute of Technology (USA).
Que ce soit pour se nourrir, se reproduire ou se défendre, les plantes interagissent avec des organismes de leur voisinage en émettant différentes substances chimiques. Ces interactions tissent une toile que l’on peut modéliser à l’aide de la théorie de l’information utilisée par exemple dans des réseaux de télécommunications. C’est ce que fait la professeure Pengjuan Zu en poste depuis février à l’Université de Neuchâtel, en cherchant à « déchiffrer le langage chimique entre les plantes et les insectes dans les communautés écologiques », selon l’intitulé de son projet soutenu par le FNS.
Pengjuan Zu applique à l’écologie la théorie de l’information, fondée à la fin des années 1940 par le mathématicien américain Claude Shannon. Elle travaille à l’échelle des communautés d’espèces composées de plantes et d’insectes, pièces maîtresses de la biodiversité et acteurs clés des écosystèmes aussi bien naturels qu’agricoles. En observant la manière dont prend forme la structure des systèmes écologiques, Pengjuan Zu cherche à découvrir ce qui rend les écosystèmes stables et résistants, et comment ils peuvent être mieux conservés dans un monde en mutation.
Molécules odorantes
«Pour y parvenir, nous avons développé un cadre conceptuel sur la manière dont les plantes peuvent ‘coder’ les composés odorants et dont les insectes les ‘décodent’ afin d'optimiser leur capacité d'information», explique la professeure de biologie. Cette approche repose sur la collecte de grandes quantités de données empiriques qui, une fois traitées par des modèles mathématiques, peuvent aider à prédire la structure des réseaux de communication chimique et des réseaux d'interactions entre les espèces au sein d'un écosystème donné. Ce mode opératoire a déjà été testé avec succès avec des données provenant de réseaux chimiques plantes-chenilles d’une forêt tropicale sèche du Mexique.
L'équipe de Pengjuan Zu étend maintenant l'approche aux relations entre plantes et pollinisateurs, en s'appuyant sur des données recueillies dans les prairies des Alpes suisses. À l'Université de Neuchâtel, la professeure prévoit d’appliquer sa méthode à des systèmes complexes comprenant des plantes, des pollinisateurs, des herbivores et des prédateurs dans les agroécosystèmes.
Polyculture traditionnelle
Elle se concentre notamment sur la milpa, une polyculture traditionnelle originaire de Méso-Amérique où le maïs, les haricots et les courges poussent ensemble en se soutenant mutuellement. La tige du maïs fournit une structure aux haricots grimpants qui, à leur tour, enrichissent le sol en azote grâce à des bactéries symbiotiques. Quant aux larges feuilles de la courge, elles ombragent le sol, contribuant ainsi à retenir l'humidité.
«Dans l'ensemble, ce projet interdisciplinaire combine la communication chimique, les réseaux écologiques et la théorie de l'information pour générer de nouvelles connaissances sur la durabilité des agroécosystèmes», conclut Pengjuan Zu. Il s'agit d'un défi urgent dans le monde d'aujourd'hui : comment nourrir une population croissante tout en préservant d’autres services vitaux rendus par les écosystèmes.